11. La Gruerie: un lieu-dit, un plan, des bornes : une institution féodale

Vous connaissez la route de la Gruerie, cette route refaite récemment et qui descend en lacets, à travers bois, vers Courcelles. C’était un coin très agréable pour se promener, cueillir des jacinthes au printemps, ramasser des châtaignes en automne, avant qu’une décharge ne vint tout bouleverser.
Mais c’est là une autre histoire…
Revenons à notre propos qui est l’origine du nom “La Gruerie” ou Grurie.
D’après l’encyclopédie, c’était avant la Révolution une juridiction qui jugeait « en première instance de toutes les contestations qui peuvent s’élever au sujet des Eaux et Forêts de son ressort et des délits et malversations qui peuvent y être commis ». C’est une juridiction, mais c’est aussi un droit.
« On appelle Grurie par rapport au roi, un droit qui se perçoit en quelques endroits à son profit sur les bois d’autrui lors de la vente des coupes, à cause de la justice qu’il fait exercer sur ces bois » (dans le Hurepoix, ce droit est de treize parts dans trente).
« Dans tous les bois sujet aux droits de Grurie, la justice et en conséquence tous les profits qui en procèdent appartiennent au roi, ensemble la chasse, poisson et glandée »
Le Gruyer est l’officier qui exerce cette justice. Il peut prononcer des amendes jusqu’à 12 livres et c’est lui qui afferme la récolte des fruits sauvages (ou “grus”): glands faînes, châtaignes.
C’était une servitude très ancienne qui pesait ainsi sur certains bois. Madame Grand-Mesnil a cité au colloque de Rambouillet sur la forêt, un long conflit entre un seigneur et l’abbaye de St Germain des Prés au temps de Philippe-Auguste. Il fallut l’arbitrage du Pape Innocent III pour le résoudre.
Lorsque la Seigneurie de Vaugien est vendue aux enchères en 1772 avec ses dépendances, il est spécifié qu’elle a le Droit de Gruerie
Pourquoi à Gometz la Ville ?
Ce nom de GRUERIE est encore fréquent dans les lieux-dits. Dans l’Argonne, pendant la guerre de 14-18, le bois de la Gruerie a été le théâtre de furieux combats.
Pourquoi ce nom a-t-il subsisté dans notre commune ? Le plan photographié aux Archives Nationales par Monsieur Jacquemard et exposé au Foyer Rural apporte la réponse.
C’est le plan des Bois de Limours, contenant 198 arpents, 87 verges 1/2, mesures du pays, qui sont 4 pièces de : La Brosse, Courcouronne, Graville, Ragonant.
Ce plan a été dressé “le dernier jour du mois de May 1666” sur l’ordre de Paul Barillon d’Amoncourt « Commissaire député par Sa Majesté pour la reformation générale des Eaux et Forêts afin de conserver les droits du roi »
Il a été reproduit dans “l’Atlas des Forêts” conservé à la Bibliothèque Nationale, un chef-d’oœuvre d‘enluminure et de calligraphie.
Les bois qui nous intéressent y sont dits « en la Gruerie de Limours dont le Sieur Patois est gruyer et Capitaine du Château ».
Ils sont « mal plantez en taillis d’essence de chesne, Charme et autres bois blancs sans aucuns anciens balliveaux, le bois de Courcouronne réduit en bruyères ».
Barillon d’Amoncourt avait ordonné non seulement l’arpentage, mais le bornage des Bois du Roi conformément à la volonté de Colbert qui les avait trouvés en très mauvais état et avait décidé d’y mettre bon ordre. Délimiter exactement les bois du roi pour mettre fin aux abus et exiger des restitutions, telles étaient les raisons de ce plan des bois de Limours, alors propriété de la couronne et dépendant de la Gruerie de Limours.
Le nom est resté à la route qui les traversait. Le nom, mais aussi les bornes qui sont indiquées sur le plan et que l’on retrouve dans le bois de Vaugaudran, le bois de Ragonant du plan original.

Ce sont de hautes bornes de grès, à base carrée, numérotées et portant au plan supérieur le dessin de l’angle dont elles matérialisent le sommet. En suivant la direction des côtés on retrouve les bornes suivantes – un amusant jeu de piste pour un après-midi d’hiver. Les mêmes bornes existent encore dans le bois de Soligny aux Molières et dans le bois de La Brosse, ailleurs aussi sans doute, mais du bois de Courcouronne « réduit en bruyères » il ne reste qu’un nom sur la carte d’Etat-Major.
Colbert et la forêt
S’inspirant du travail accompli par Barillon d’Amoncourt, Colbert rédigea « la Grande Ordonnance de 1669 », véritable code forestier qui marqua le début de la renaissance de la forêt française en fixant le rythme des coupes, la réserve des baliveaux et en réglementant l‘usage du pâturage, limité à 4 mois et qui fut interdit aux chèvres et aux moutons.
Mais, malgré le bornage et la vigilance des gruyers les abus durent continuer car au XVIIIe siècle, la Maîtrise des Eaux et Forêts fit creuser autour des bois du Roi un fossé, aux dépens des riverains qui protestèrent évidemment.
Le Seigneur de Belleville, Pierre, Juvénal GALLOIS fit dresser procès-verbal le 19 janvier 1768 « pour trois cents perches de bois prises sur un terrain appartenant au dit Sieur Gallois, lors de l’ouverture des fossés faits autour du bois de Graville ».
Nous ne savons pas s’il obtint réparation, mais les fossés existent toujours, non dans le Bois de Graville dont une grande partie a disparu sous les pavillons du plateau de Belleville, mais autour du bois de Vaugondran et de La Brosse et ils vous guideront dans votre quête des bornes de 1666.
A la veille de la Révolution, le Comté de Limours n’appartenait plus à la couronne, mais il semble bien que le Roi y avait gardé des droits : La carte des Chasses Royales appelle le bois de Graville “le Bois du Roi” et dans leur cahier de doléances en avril 1789, les habitants supplient Sa Majesté de diminuer le nombre des bêtes fauves (cerfs, biches, chevreuils …) répandues dans les bois qui avoisinent la plaine de Gometz la Ville et qui ravagent les récoltes.
Le droit de Gruerie, les grueries ont été abolis à la Révolution avec tous les droits féodaux, mais il en est resté chez nous : un lieu-dit, des plans, des bornes qui témoignent de la persistance du passé et qui nous ont permis d’apprécier dans le domaine particulier de la forêt française, l’action de Colbert, ce grand commis de l’Etat dont on connaissait surtout l’œuvre financière et économique.