12. La ferme de Belleville, il y a 60 ans : des témoins se souviennent

Après les documents écrits, voici des témoins qui nous racontent la ferme de Belleville dans les années 20, avant l’invasion des tracteurs.

Denise et Françoise PESCHEUX sont nées à la ferme ; elles y ont grandi et en les écoutant, en écoutant Suzanne TOQUE – Madame BESSADA – qui y a travaillé, on revit cette époque.

C’est Marcel PESCHEUX, le grand-père de Raymond PESCHEUX, qui, après sa mère, dirige alors l’exploitation : près de 200 ha.

Il appartient à une très ancienne famille de “laboureurs” de Gometz qui a toujours eu le goût des grandes surfaces. Au XVllle siècle, ils cultivaient les deux fermes de Belleville et de La Vacheresse. A la veille de la guerre de 1914, les parents de Marcel PESCHEUX exploitaient les deux fermes de Belleville et de Ragonant.

Pour la période qui nous intéresse, aux 120 ha de Belleville, s’ajoutent des terres qu’il loue ou qui sont à la famille. Elles s’étendent dans la plaine de Belleville et la plaine de Frileuse.

Les prés sont aux “Prés Mouchards” et dans la vallée : à Chevreuse, à Bures, à Orsay.

La ferme fabrique son électricité – seulement pour s’éclairer. Elle n’a pas l’eau courante, mais une pompe à côté de la cuisine fournit l’eau, excellente, pour la maison et pour les chevaux : une belle cavalerie de douze à quinze chevaux plus un trotteur : “kiki” que l’on attelle à la voiture légère pour les courses ou pour descendre à la gare

Jamais la ferme n’a manqué d’eau, même en 1921, année de grande sécheresse, l’année des incendies.

Une petite mare occupe le milieu de la cour : on y baigne les chevaux. Une plus grande, à l’extérieur, permet d’abreuver le bétail. Les canards sauvages viennent s’y poser et il arrive qu’ils entraînent dans leur sillage les canards de la ferme, que l’on retrouve dans les prés de l’Yvette, du côté de Jaumeron.

L’exploitation qui associe culture et élevage est déjà moderne : un petit nombre de productions : blé, avoine, un peu d’orge, betteraves à sucre, lin et fourrage. Peu de pommes de terre, mais quelques rangs de haricots flageolets vendus comme “écossés” aux Halles de Paris. Ce sont des femmes du pays qui, avec leurs enfants, arrachent, cueillent et mettent en sacs : une ressource, paraît-il, pour acheter les chaussures de la rentrée !

Deux ou trois vaches laitières, pour les besoins de la ferme, qui fait aussi son beurre, et pour le personnel ; mais on engraisse des boeufs et des moutons. Un seul porc, des volailles

DES GENS DE CONFIANCE

Le personnel est nombreux : un ménage pour la maison et le jardin, quatre charretiers, des journaliers : une douzaine, plus des saisonniers. Certains travaux sont payés à la tâche : piochage et arrachage des betteraves, récolte du lin, moisson

Le Premier charretier est alors François TOQUE ; c’est un homme de confiance qui a été plus de quarante ans au service de Belleville. ll conduit la “Belle attelée” de quatre chevaux qui tirent le grand chariot : un chariot qui possède, suprême confort, un siège Sa fille, Suzanne

BESSADA, la maman de Raymond, raconte avec quel soin les bêtes étaient préparées : crinière et queue nattées, sabots cirés

Par les pavés d’Orsay, de Palaiseau, de Massy, François TOQUE va livrer à Paris son volumineux chargement de paille ou de fourrage : 900 bottes. C’est une longue journée : parti vers minuit ou minuit et demie, il ne rentre à la ferme que tard le soir.

Le berger, aussi, est un personnage. Les gens du pays l’appellent “Le Berger”. C’est André CINEAU de La Vacheresse – l’arrière grand-père d’André LACHENY – il garde les moutons de Belleville avec son propre troupeau. Les anciens de Gometz n’ont pas oublié cet homme qui a passé sa vie dans la plaine avec ses bêtes, ses chiens, un grand parapluie qui lui servait aussi d‘ombrelle et son bâton, un bâton magique pour Denise et Françoise PESCHEUX. Lorsqu’elles apercevaient le vieux berger, elles couraient vers lui et demandaient : “Cineau, quelle heure est-il ? Il plantait alors son bâton, regardait l’ombre et annonçait “quatre heures” Emerveillées et ravies, les deux fillettes couraient collationner, dans le petit jardin anglais, s’il faisait beau.

Cet homme, dont les connaissances étaient grandes dans son métier, qui aimait lire, qui était estimé de tous, est mort il y a une trentaine d’années dans la plaine, au milieu de ses moutons et veillé par ses chiens.

LA PEINE DES HOMMES

Les travaux étaient durs alors et les journées longues. C’était le même homme, “le botteleur” qui bottelait à la main le foin et la luzerne et il lui arrivait de commencer avec le jour pour éviter la grosse chaleur.

Il n‘y avait plus de boeufs à Belleville après la guerre de 1914 : tout le travail était fait avec les chevaux. C’était de longues journées, derrière la charrue, au pas des bêtes. Les semailles étaient faites au semoir. Quelqu’un suivait — la maman de Raymond BESSADA l’a fait bien souvent — pour s’assurer que le grain coulait régulièrement et déboucher les orifices s’ils venaient à s’engorger.

La moisson était coupée à la lieuse : une lourde machine tirée par trois chevaux et dont le passage était préparé à la faux autour des champs et autour des arbres.

Les journaliers ramassaient les gerbes et les mettaient en tas de dix ou “diziau” : le vieux mot français dizeau qui désigne “un amas de dix gerbes ensemble”. C’était un souvenir de la dîme, l’impôt en nature perçu par le clergé avant la Révolution. Les gerbes devaient rester en tas, dans le champ jusqu’à ce que le “dismeur” ait prélevé son dû : un dixième, en principe une gerbe par tas.

La dîme était abolie depuis longtemps que l’on faisait toujours des “diziaux” jusqu’à l’invasion des moissonneuses-batteuses.

La moisson était rentrée dans les granges : c’était un grand bâtiment au fond de la cour. Elles furent remplacées, après l’incendie de 1921, par le hangar qui vient d’être démoli.

Ce qui ne pouvait tenir dans les granges était entassé en meules rondes dont la construction était tout un art.

Une partie de la récolte était battue d’abord par une entreprise qui venait avec son personnel et son matériel dont la grosse locomobile, chauffée au charbon, avec une haute cheminée coiffée d‘une sorte de panier à salade contre les escarbilles.

L’entrepreneur nourrissait lui—même ses ouvriers, des hommes rudes qui effrayaient les enfants.

Le reste de la récolte était battu pendant l’hiver au fur et à mesure des besoins par le personnel de la ferme avec une petite machine à battre et un moteur. ll existait bien encore une “trépigneuse”, mue par un cheval, mais elle ne servait plus qu’à actionner le coupe-racines et à amuser les enfants. Le grain était ensuite livré aux moulins d’Ollainville, de Bures, de Longjumeau.

PEU DE FETES !!

En écoutant Denise et Françoise PESCHEUX, on s’étonne d’entendre si peu évoquer les fêtes. Quelques réunions de famille, des repas de chasse Mais pas de fête de la moisson, pas de grand banquet à la fin du battage. La ferme ne nourrit pas son personnel, hormis celui qui travaille à la maison. Mais elle fournit à tous, le cidre fait avec les pommes et les poires du domaine ; quelques vieux poiriers, dans Chevry, en témoignent encore.

Pour la fête de Gometz la Ville, fin mai, à la Saint Germain, les maîtres gardent la maison avec un personnel très réduit ; le dimanche après-midi et le lundi qui est aussi jour de congé, comme pour les enfants de l’école.

A la sortie de la messe, Denise et Françoise PESCHEUX ont droit à quelques tours de chevaux de bois puis toute la famille reprend le chemin de Belleville.

Rien pour le 14 juillet et pourtant Marcel PESCHEUX a été maire de Gometz la Ville pendant une quinzaine d’années jusqu’à ce qu’il quitte la commune.

Mais ses filles se rappellent la messe de minuit à Gometz le Châtel et le long trajet à pied, à la lueur des lanternes, par l’allée des peupliers, la vieille route et le raidillon le long de la serrurerie Camuseaux.

On comprend, en les écoutant, en écoutant Suzanne BESSADA, leur révolte devant la transformation du paysage et leur tristesse en constatant l’abandon de la ferme : toitures crevées, portes arrachées

Comme elles, beaucoup espéraient que les promoteurs de Chevry, faisant preuve d’imagination, de faire, de sympathie aussi, sauraient intégrer dans leur réalisation une ferme qui avait son caractère et qui, dans son unité, témoignait de l’architecture agricole du milieu du XIXe siècle.

Ce n’était pas leur problème…

 

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