4. Seigneurs et fiefs avant la Révolution

Acte notarié 1750
Emprunté à http://www.linieres-saint-andre.com

« Gometz la Ville est à l’entrée de la plaine que l’on trouve un peu après avoir monté la colline où est bâti Gometz le Château. C’est un pays tout plat, entièrement en labourages, et sans aucunes vignes. Dans le Dictionnaire Universel de la France, qui parut en 1726, l’évaluation des habitants était au nombre de 230. Ce lieu a été autrefois muré sans être cependant Ville dans le sens que l’on donne aujourd’hui à ce mot. Il y restait, lorsque j’y ai passé, des vestiges de portes du côté du midi, et on y voyait encore une tour.

L’Abbé Lebeuf, dans son Histoire du Diocèse de Paris, décrit notre village tel qu’il l’a vu au milieu du XVIIIe siècle :
L’Abbé Leboeuf

Il y a tout lieu de croire que primitivement Gometz la Ville et Gometz le Château n’ont eu qu’un même seigneur. Mais il y a eu des fiefs dont ils se sont dessaisis sauf l’hommage.

Il est fait mention dans la Coutume de Paris de 1580 du Fief de Baudreville assis à Gometz la Ville, et il est dit que dans ce Fief il y en avait un autre, dit le Fief de Lambert, lequel était possédé par Jean Miette, écuyer, qui en était le Seigneur. Une affiche du mois d’août 1747, portait que “le Grand Ragonant, Seigneurie avec toute justice est sur cette paroisse… ”.

Revenons brièvement sur ce mot Fief, une survivance du Moyen Âge, rarement employé aujourd’hui, sinon pour dire d’un homme politique en parlant d’une circonscription où il est solidement implanté « qu’il est dans son Fief ».

À l’époque féodale, devant l’effondrement du pouvoir royal, des chefs se sont imposés dans toutes les régions et ont exercé les attributions du Roi : Police, Justice dans un domaine, leur Fief, percevant en échange des « droits féodaux ».

Pour assurer leur protection, les Seigneurs sont liés entre eux par des obligations réciproques : celui qui protège est le suzerain, le protégé est le vassal. La cérémonie de l’hommage affirme cette dépendance : le vassal, à genoux, se reconnaît « l’homme » de son seigneur et lui jure aide et fidélité. Le suzerain promet assistance et confirme la possession du fief.

Au XVIIIe siècle, à la veille de la Révolution, malgré les progrès de l’autorité royale, ce schéma, vieux de plusieurs siècles, est toujours en usage, bien que vidé de son contenu politique.

Gometz comprend plusieurs fiefs : Belleville, Ragonant, La Vacheresse, La Folie Rigault, Blanchard (propriété de la maladrerie de Limours) sont des fiefs et le Fief de Blanzai associé dans un bail à « la Grande Ferme de Gometz la Ville » (la ferme de M. Auvray). Des bornes marquent les limites de ces fiefs, d’étendues très inégales. La borne à Croix de Lorraine de la porte cochère de Mme Durand en est certainement une. La même Croix de Lorraine, dans un losange, mais martelée, figure sur une borne de Gometz le Châtel, à l’angle de la rue Mauconseil, d’autres encore dans la plaine… — un souvenir de la famille de Lorraine qui possédait le Comté de Limours à la veille de la Révolution.

Chaque fief est dans la dépendance — la mouvance, dit-on — d’un autre plus important, au seigneur duquel le propriétaire rend hommage.

Surtout que l’on ne voie pas les Seigneurs de Belleville ou de Ragonant sous l’aspect de rudes barons féodaux ou de brillants courtisans de Versailles. Ce sont des bourgeois, hommes de loi, des officiers royaux qui ont acquis « une terre ».

En 1789, Pierre, Juvénal Gallois, « Seigneur de Belleville, Baudreville, La Vacheresse et autres lieux » est Conseiller en la « Chambre des Comptes », origine de notre actuelle Cour des Comptes. Ses liens de vassalité sont complexes.

Pour Belleville, il relève du comté de Limours auquel la baronnie de Gometz le Châtel, dit Saint Clair, a été rattachée par l’achat qu’en a fait en 1601 Philippe Hurault de Cheverny, Seigneur de Limours.

Mais pour La Vacheresse, il rend hommage au Seigneur de La Norville « à cause de son fief des Granges, près de Châtres » (Arpajon).

Cérémonie de l’Hommage au Moyen Age

Le Seigneur de Ragonant est vassal, lui, de la seigneurie de Bonnelles qui est dans la mouvance du Comte de Limours.

Un acte notarié rend compte de la cérémonie de l’hommage dans des termes qui, aujourd’hui, font sourire. Tel celui dressé en 1714 (le Comté de Limours appartient alors au Roi) — à la demande du Seigneur de Belleville :

« lequel nous a requis de nous transporter avec les témoins au-devant de la grande porte et principale entrée du château du dit Limours pour en état de vassal faire et porter la Foy et hommage et serment de fidélité…

Et là le dit Sieur en état et devoir de vassal, un genou en terre, teste nue sans bottes ny espérons ni espée, pris le marteau de la dite porte, frappé d’Iceluy par trois différentes fois contre la dite porte et demandé si Sa Majesté le Roy y estait ou gens pour luy pour le recevoir en la dite foy et hommage et serment de fidélité qu’il lui faisait et portait pour raison du dit fief de Belleville… »

Un autre acte notarié « Aveu et dénombrement » dresse le relevé des terres composant le fief et des charges qui pèsent sur elles. Car, derrière tout ce papier timbré, il y a une affaire de gros sous : lorsque le fief change de propriétaire par suite de vente ou d’héritage en ligne indirecte, l’acquéreur doit un droit de relief qui peut être substantiel : 1/5 environ du prix de vente ou une année de revenus.

Un exemple : l’héritier d’Ollivier de Montluçon, Seigneur de Vaugien, paie pour le seul fief de Courcelles 1800 livres de droit de relief. (À l’époque, le salaire moyen d’un manœuvre est d’une livre — ou 20 sols — par jour).

Dans son fief, le Seigneur perçoit les « droits féodaux » et tout d’abord : le Cens, une taxe annuelle qui frappe la terre, qui a été fixée par écrit au Moyen Âge et n’a pas varié depuis :

  • 12 deniers parisis par arpent (une quarantaine d’ares) à Belleville,
  • 2 sols 6 deniers à La Folie Rigault,
  • 5 sols parisis et un chapon pour une grande maison sise à Baudreville,
  • Pour « une petite maison et jardin sis au dit lieu de La Vacheresse appartenant à Denis Buisson et son enfant, deux poulets par chacun an ou cinq sols au choix de l’avouant ».

À la suite de partages, le cens peut être d’un quart ou d’un cinquième de poule

Nous n’avons pas rencontré dans nos recherches sur Gometz la Ville des exemples de cens qui surprennent ou amusent comme « ce verre et demi plain de Violettes à livrer le jour et feste des grandes Pasques » que cite Monsieur Jean Jacquard dans son livre « La Crise rurale en lle de France, 1550—1670 ».

Le cens est dû par tout propriétaire, qu’il soit paysan, bourgeois ou noble. Le curé de Gometz la Ville le paie pour les terres de la cure.

Pour « celles qu’il possède à La Folie Rigault, le Seigneur de Belleville paie à Claude Mérault, Seigneur de Gif, Moulon, La Folie Rigault et Jaudoin » : 8 livres 11 sols 9 deniers « par chacun an de cens portant lods et ventes, saisines et amendes quand le cas y eschet, payable au jour de St Rémy premier octobre au Seigneur de Gif à sa table de recette du dit lieu ».

Si le cens est de faible rapport, les droits de lods et ventes sont plus sérieux. Ce sont de véritables droits de mutation qui représentent environ 1/12 du prix de vente. On comprend que l’Evêque de Limoges, bénéficiaire des biens de l’Abbaye des Vaux de Cernay, lorsqu’il donne à bail à Pierre Duval, laboureur, la Grande Ferme de Gometz la Ville et les revenus du fief de Blanzay, se réserve les droits de lods et ventes « quand le prix principal des biens vendus montera à deux mille livres et au-dessus ».

Tous ces droits féodaux et d’autres en nature comme les Champarts représentaient un rapport appréciable. C’est pourquoi, au XVIIIe siècle, les Seigneurs s’appliquent à rechercher les vieux droits, à dresser des atlas de Censive et à ramener à l’obéissance les récalcitrants.

C’est ce qui arriva au Prieuré de Saint Paul des Aulnayes à Saint Rémy, une dépendance de l’Abbaye Saint Victor à Paris.

Depuis le XIe siècle, le Prieuré possédait à Gometz la Ville, la ferme de Malassis (la vieille grange, isolée, que l’on voit à côté de Feuillarde, la ferme de M. Hottin, en est le dernier vestige).

Pendant plusieurs siècles, les Prieurs ont refusé de payer le cens, affirmant que Malassis formait un fief. Les Seigneurs de Gometz, comme Thomas de Balzac au XVIe siècle, se sont inclinés. Mais au XVIIIe siècle, le comte de Limours reprend la lutte. La Chambre des Comptes se saisit de l’affaire et en 1768 ordonne :

« Les terres de Malassis seront tenues en roture seulement dans la mouvance du comte de Limours ».

Le Prieur de St Victor s’incline et confesse :

« Déclarons pour rendre justice à la vérité qu’après plus mûr examen de nos titres que nous n’y avons rien reconnu qui constitue de ces cent cinq arpents tant terres que prés, l’essence d’un fief, pourquoi nous nous désistons de toutes prétentions de féodalité à cet égard ».

Les archives ne disent pas si le Prieur paya l’arriéré !

Il reste à dire un mot d’une prérogative seigneuriale importante dans le passé : la Justice ; mais tous les seigneurs ne l’exerçaient pas — il n’en est pas question pour Belleville.

Par contre Ragonant est un fief avec Haute, Moyenne et Basse Justice. L’affiche signalée par l’Abbé Lebeuf en fait état, mais c’est une formule. Depuis longtemps, la Justice royale a supplanté la justice seigneuriale.

À Gometz, en matière civile, les affaires relèvent du Baillage de Limours, et en matière criminelle, du Parlement de Paris.

Il ne reste à la justice seigneuriale que les menus délits, dont le revenu devait être mince si l’on en juge par le prix de vente de la justice de Gometz la Ville en 1661 : 300 livres seulement.

Le « Chemin de la Justice » à Gometz le Châtel, rappelle le souvenir des fourches patibulaires, le gibet — attribut de la Haute Justice.

À Ragonant, la tradition désigne sous le nom de « Borne de Justice » une grande borne — malheureusement cassée* — en forme de quille, et portant les armoiries de la famille de Marle, propriétaire du fief à la fin du XVIe siècle.

* réparée aujourd’hui (2023)

Le Cahier de doléances de Gometz le Châtel nous montre combien en 1 789 la fonction de justicier semblait encore une prérogative seigneuriale. Ses habitants demandent :

« que tout abus d’autorité des seigneurs et toute injustice qu’ils auront faites » soient « punis plus sévèrement qu’une faute des autres citoyens habitants parce que les Seigneurs sont faits pour empêcher l’injustice ».

Curieusement, les droits féodaux sont rarement évoqués dans les Cahiers de la région, sinon pour demander le rachat des banalités, cette obligation faite aux vassaux d’utiliser moyennant redevance, le four, le pressoir ou le moulin du Seigneur (Moulin à Ban de Gometz le Châtel).

Et pourtant, dans la seconde quinzaine de juillet 1789, dans plusieurs régions, une vaste émotion populaire, la Grande Peur, va précipiter les paysans vers les châteaux où ils brûlent les vieux parchemins et les registres des censives sur lesquels sont inscrites leurs servitudes et celles de la terre.

On se rappelle que pour mettre fin à cette « Jacquerie » qui fut peu active dans notre région, l’Assemblée Nationale, dans la nuit du 4 août, abolit les privilèges et les droits féodaux — mais ceux qui ne frappaient que la terre devaient être rachetés.

Lorsqu’en décembre 1790 la Grande Ferme de Gometz la Ville, propriété de l’Abbaye des Vaux de Cernay, est mise en vente comme bien du clergé, sont vendus avec elle

« tous les cens et rentes, lods et ventes du cidevant fief de Blanzay produisant année commune 120 livres ou environ », et l’affiche spécifie : « Droits déclarés rachetables ».

On imagine sans peine que cette clause de rachat provoqua une vive déception et mille contestations.

Finalement, la Convention balaya tous ces vestiges de la féodalité et, sur le registre des Délibérations de la Municipalité de Gometz la Ville, on lit, à la date du mercredi 16 octobre 1793 :

« L’an 2° de la République Française une et indivisible est comparu au greffe de notre municipalité le citoyen Denis Juvénal Devin, fils du citoyen Julien Jacques Devin et de Thérêse Denise Gallois son épouse, lequel en l’absence de son père nous a apporté tous les titres de féodalité, les reconnaissances des censitaires, aveu et dénombrement et généralement tous les titres concernant la féodalité pour les fiefs de Belleville et La Vacheresse lesquels titres nous avons brûlé à l’instant suivant le décret du 17 juillet dernier… »

Le lendemain, même opération avec les titres du Grand Ragonant et quelques jours après, c’est le citoyen « Louis, Charles Félix Desjobert, d’Orsay, ayant acquis de la Nation en février 1791 le cy devant fief de Gometz la Ville, lequel citoyen en remet tous les titres de féodalité »… qui furent également brûlés.

Ainsi furent anéanties les preuves des servitudes passées. Cens, lods et ventes avaient disparu. Mais l’Etat prélèvera désormais l’Impôt foncier et les droits de mutation.

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