L’exode de 1940 vécu et décrit par M.et Mme Pierre Lerebour.

Illustration de Pierre Lerebour
Illustration de Pierre Lerebour

Récit des événements qui ont marqué le mois de juin 1940, tant à Gometz-la-Ville que sur les routes de l’exode.
Un récit qui fera mieux comprendre cette période à ceux qui, trop jeunes, ne l’ont pas connue. Un récit qui ravivera aussi chez beau­coup les heures douloureuses qu’ils ont vécues et qui les ont marqués.

Lundi 3 juin 1940 – Terreur sur les routes

Devant l’avance rapide des armées allemandes semant la terreur sur les routes par les bombardements aériens, commence l’exode massif des Parisiens. Ceux-ci partant en voiture, il devient difficile de sortir sur la route pour porter le lait à Gometz-le- Châtel.

Mardi 4 – Une circulation de plus en plus dense

La circulation sur la route devient de plus en plus dense ; beaucoup de véhicules sont surchargés, d’où de nombreuses pannes, surtout de batterie, avec tous ces arrêts.

Mercredi 5 – Les routes sont complètement bloquées

La route est complètement bloquée par les autos. Il faut porter le lait à Saint Clair avec une brouette à travers champs ; les quelques voitures militaires qui passent pour remonter vers Paris circulent avec les plus grandes difficultés.

Jeudi 6 – Heureusement il y a la porte de la mare…

On ne peut toujours pas circuler sur la route, même aux premières heures du jour. Impossible de sortir par les grandes por­tes. Il y a heureusement la porte de la mare pour aller chercher de l’herbe pour les vaches. Dans les champs, on ne travaille plus avec goût devant ce perpétuel défilé de voitures.

Vendredi 7 – On prépare les voitures pour partir

Dans la fièvre des mauvaises nouvelles des opérations militaires, et la vue de l’exode des populations du Nord de la France fuyant devant les bombardements, on prépare déjà les voitures pour partir comme tout le monde. On ferre les chevaux à neuf, on charge les matelas, le linge, le ravitaillement de toute sorte, tout ce qui peut s’emporter dans le chariot, la petite voiture jaune et la tapis­sière. On cache des caisses de vaisselle dans le jardin, dans la ter­re, des bouteilles et un tonneau de vin, etc..

A sept heures du soir arrivent des soldats qui reviennent de l’enfer de Dunkerque via l’Angleterre. Leur bureau est installé dans la salle à manger. Ils couchent dans la grange à blé et les greniers, et n’ont plus que leurs vêtements sur eux et leurs musettes.

Samedi 8 – L’armée française défend la ferme

Un détachement part chercher des autos-mitrailleuses à Orléans et des side-cars armés, en revenant, se mettent en position de camouflage dans divers endroits de la cour. Comme beaucoup de ces soldats sont de Paris et des environs, et mariés, ils en profi­tent pour téléphoner à leur famille. C’est une véritable queue au téléphone, à tel point que la poste de Limours nous a demandé qui allait payer. Mais on ne pouvait tout de même pas faire payer ces combattants qui étaient sans nouvelles depuis si longtemps, ainsi que leurs familles.

Dimanche 9 – Grand calme à Gometz

On aurait cru Gometz un jour de fête, car le flux des autos de Paris était presque nul.

Lundi 10 – Un avion allemand est abattu à Boullay les Troux

De très bonne heure arrivent des camions de ravitaille­ment et d’équipement pour les soldats; tout est déchargé dans le milieu de la cour en tas ; deux citernes d’essence de cinq mille li­tres chacune, sont là également. Mais à 9 heures, sauve-qui-peut général on perçoit le bruit de plusieurs avions volant très bas qui passent juste au-dessus de la cour. C’était un chasseur allemand poursuivi par deux avions de chasse français. Il sera abattu à Boullay-les-Troux.

La pièce de luzerne du Puits étant coupée, nous l’avons tout de même mise en perroquets, mais sans grand courage. Et d’ailleurs, dans la semaine, elle est devenue un véritable campement pour tous ces gens qui passaient, exténués de marcher. Chaque per­roquet était transformé en cabane pour coucher. Toutes sortes de dé­tritus jonchaient le sol papiers, bouteilles vides, boites de con­serves, valises éventrées qui avaient déjà terminé leur voyage, etc…

Mardi 11 – Les soldats français quittent la ferme

Départ des soldats à 3 heures du matin, en direction de Pacy-sur-Eure, au-devant des Allemands qui traversaient la Seine à Vernon. Ces mauvaises nouvelles ont fini de provoquer le désar­roi. Malgré tout, nous continuons à faire les préparatifs de départ. C’est maintenant le tour de la voiture Citroën, car il est question que j’emmène les enfants, la grand-mère et l’arrière-grand-père au Bitarelle, de l’autre côté de Périgueux, où nous avons loué aux Farges une petite maison..

Dans la journée commencent à passer des milliers de gens de Paris et de la banlieue, qui, cette fois, sont à pied, poussent des brouettes de toutes sortes ou portent des valises à la main. Il y a aussi les voitures à chevaux des maraîchers.

La route ne pouvant suffire à un tel trafic, les trottoirs des deux côtés sont remplis de gens. Il y a même un chemin de 3 mètres de large des deux côtés des fossés, dans les champs d’où la récolte a totalement disparu. Ce sera le pillage des maisons aban­données tout le long des routes, pour le ravitaillement. C’est un vé­ritable déferlement humain qui frise la folie.

A 7 heures du soir arrive Courtois de Massy, avec toutes ses voitures et sa famille. Il n’y a plus de place dans la ferme pour coucher, ils logent dans le bureau sur leurs matelas. Ils étaient partis depuis le matin !

Tout ce défilé finit de jeter la panique partout. Des quan­tités d’autos sont déjà en panne d’essence et de toutes sortes sur les trottoirs ou dans les champs. Le pays est tellement bloqué que, pour le dégager, on fait passer les autos par la route de Roussigny, mais en pure perte : il en vient toujours de plus en plus.

La carte de l’exode de la famille Lerebour

Itinéraire de l'exode Lerebour

Mercredi 12 – Départ en exode

Nous décidons de partir à 9 heures avec la voiture et les enfants, voyage qui ne m’enchantait pas du tout…

C’est donc par le même itinéraire que nous avons décidé de passer – s’il fallait partir avec les voitures et avec l’auto. Si tout marchait bien, je comptais revenir au-devant de Georgette, toujours par les mêmes routes, sans savoir quand et comment elle partirait ! Surtout que, dans cette débâcle, on parlait d’appeler la classe 1914 dont je faisais partie. Il fallait à tout prix éviter les grandes routes, donc direction le Val Saint Germain, Dourdan, Corbreuse, Patay, Meung où nous avons traversé la Loire … Mont­richard, Loches où nous avons trouvé une cohue de réfugiés, pour arriver à Châtellerault à 7 heures du soir… Là, nous avons commen­cé à savoir ce que c’était que l’exode : les enfants et le grand-­père ont couché sur la paille dans un têt à porcs où il y avait des rats, moi, j’ai passé la nuit dans la voiture avec ma belle-mère car je ne voulais pas abandonner la voiture et son contenu.

Nous avions convenu d’aller nous réfugier dans une propriété amie, au Peu, près de Poitiers, avec les voitures à chevaux.

Pendant ce temps, à Gometz, ce sera toujours l’écoulement des gens qui partent à pied sans savoir exactement où ils iront. Presque tout le monde se préparait à partir. Toutes nos brouettes étaient parties sur la route avec celles à rouler les sacs. On avait même démonté la bineuse à trois rangs pour se servir des roues et des limons. Nous l’avons retrouvée à Chaumusson.

Jeudi 13 – Chatellerault

A Chatellerault, nous partons vers 8 heures. Il a plu toute la nuit. En passant à Poitiers, devant la gare, obligés d’arrê­ter tant la foule des réfugiés est compacte. Après Couhé-Vérac c’est le dérapage et l’accrochage avec une voiture du ministère de la Guerre qui remontait vers Fontainebleau… Je suis obligé d’aller chercher un mécanicien à Mausle. Il a fallu tout décharger dans une camionnette pour pouvoir aller jusqu’à Bitarelle le lendemain… La voiture restera près de deux ans dans une remise avant d’être réex­pédiée à Gometz, où elle ne sera réparée qu’après la Libération.

A Gometz, Georgette, sur les conseils de son frère, prenait le départ avec les voitures à chevaux et les ouvriers, laissant la ferme bien à contre-coeur, avec tout ce qu’elle contenait encore…. Elle suivra le route de Briis, le Val Saint Germain, Dour­dan, comme convenu à mon départ, pour coucher le soir à Bistelle… événements racontés par la suite…

(Pierre Lerebour trouve, à Mausle, un véhicuLe qui remonte vers Paris et, malgré Le flot des réfugiés, parvient à gagner OrLéans, où il apprend que Paris est déclaré « ville ouverte », puis Etampes) .

Nous roulons dans la nuit complète, car il n’est pas question d’allumer les phares. A Saclas, nous perdons la route. Il faut chercher à la lampe électrique pour arriver à Etampes dans la grande rue vers minuit. Je suis obligé de descendre pour nous faire un passage sur le trottoir tant la ville est embouteillée par les réfu­giés. Nous gagnons enfin la route de Dourdan… elle est complète­ment libre, et cela jusqu’à Granges-Ie-Roi.

Dans la côte, nous croisons tout un régiment d’artillerie ses camions de transports. Des réfugiés ont stationné pour la nuit sur le côté gauche et les militaires montent au milieu, de sorte nous n’avons plus grand’place pour descendre. Cela dans nuit noire, car la lampe électrique est usée. Je suis obligé de marcher devant pour guider mon chauffeur. A un moment, de grands cris retentissent. C’est un camion qui vient de culbuter une auto dans laquelle dormaient des réfugiés. Mais personne ne s’arrête. C’est bien le “chacun pour soi” dans cette tragédie.

A une heure du matin, nous arrivons à l’entrée de Dourdan, rompus de fatigue et de sommeil. Nous décidons de nous reposer jusqu’au jour…

Vendredi 14 – Bistelle

A 3 heures, comme convenu, nous nous réveillons après avoir sommeillé dans la voiture tant bien que mal. A la sortie de la ville, le flot des réfugiés commence à circuler, mais on peut quand même rouler à cette heure matinale. En passant à Bistelle, quelle ne fut pas ma surprise d’apercevoir mes voitures, et les che­vaux en train d’être attelés pour partir. Je fais donc stopper mon petit chauffeur, et le remercie en lui souhaitant de bien arriver à Paris pour prendre sa mère, ce dont je doutais fort.

(Dans La ferme, remplie de soldats, Pierre Lerebour retrouve sa femme qui ne l’attendait pas à une heure si matinale).

Alors, ne perdant pas de temps, je partis voir les charretiers qui attelaient les chevaux car l’un d’eux voulait, parait-il, retourner à Gometz. En arrivant la veille, ils avaient été mitraillés par les Chasseurs allemands; il y avait eu une quaran­taine de morts, jusque dans la côte. C’est un miracle que les che­vaux n’aient pas été touchés. Bayard s’était sauvé sous le bruit des bombes. Ce sont les soldats qui l’ont rattrapé, heureusement. Des gens étaient blessés auprès des voitures. En me voyant, tout le monde parut rassuré. Je pris donc la conduite du chariot attelé de trois chevaux, Mittin la petite voiture jaune avec deux chevaux at­telés côte à côte pour pouvoir conduire avec des guides, Marcel et sa sœur Jeanne dans la tapissière… ce qui représentait un con­voi encore assez long pour la circulation.

Etape de 20 km.

(A Gometz, il était arrivé, le jeudi, un régiment de zouaves et de l’artillerie qui avait mis en batterie derrière les talus de la ligne de chemin de fer. Les zouaves avaient fait des créneaux pour mitrailleuses dans les murs de chaque côté de la porte de la mare et dans le mur du jardin pour faire, soi-disant, de la défense sur la vallée. Cela a fini de faire partir tout le monde, sauf les plus âgés. Les Allemands, qui étaient déjà à Bièvres, ont tiré sur Gometz avec de gros obus. Quatre sont tombés à proximité de la fer­me, un au pied d’une meule d’avoine sans y mettre le feu, un autre auprès du puits dans le jardin. Les éclats, en passant par la porte de la salle à manger, ouverte, ont défoncé le buffet ; les autres sont tombés auprès du mur sur les arbres. Ils n’avaient quand pas trop mal pointé leurs pièces. La route avait été barrée avec les voitures qui restaient et du matériel. Tous les soldats étaient partis dans la nuit du vendredi. Les Allemands ont donc fait leur entrée le samedi matin, de sorte qu’il n’y avait pas eu trop de dégâts, cela valait mieux. Pas mal de réfugiés étaient restés dans la ferme et le pays, ce qui a fini le pillage des maisons, surtout des volailles. Il ne restait plus que onze petits canards sur la mare. Tous les lapins avaient subi le même sort, avec deux petits cochons, le gros était resté.

Maintenant nous voilà tous fuyant devant la débâcle, avec seulement une journée d’avance sur les Allemands. De Bistelle, nous passons à Dourdan, en évitant la ville trop encombrée, par le pont de la route de Saint Arnoult pour gagner la route de Corbreuse. Dans le bas de la côte, j’ai été obligé de reclouter les fers d’un cheval. Etant arrêtés, nous avons vu passer les voitures d’Armenon qui, plus loin, donnèrent des nouvelles à mon beau-père.

Puis c’est le défilé, bien tranquillement, à travers les petits pays de la Beauce, par Garancières, Beaudreville. Nous arrivons le soir, vers 7 heures à Allaines, où nous campons sur une petite place, sous les tilleuls, à l’entrée du pays, pas loin du croi­sement de la grande route Chartres-Orléans. Bien mauvaise idée ! A partir de 11 heures, des chars passent à toute vitesse, pendant toute la nuit, avec d’autres convois, de sorte que ce fut encore une nuit blanche pour moi. J’avais décidé avec Georgette que nous cou­cherions sur un matelas, dans le chariot, qui était bâché en perma­nence en forme de toit contre la pluie. Nous ne voulions pas l’aban­donner pour ce qu’il contenait.

(Etape de 42 km, facile, sur les routes plates de la Beauce).

Samedi 15 – Allaines – Patay

(Arrivée à Gometz des Allemands, le matin de bonne heure. Les premiers ne font que passer, après avoir défait le barrage).

Nous partons d’Allaines à six heures, car il fallait que je me repose depuis 8 jours que je ne dormais plus. C’est par un temps magnifique que nous atteignons Tillay et Lumeau, où nous ren­controns la voiture de mon beau-père….

Nous avons passé quelques instants, heureux de nous retrouver encore une fois tous ensemble, sains et saufs, mais nous ne nous attardons pas, pensant à cette traversée de la Loire !!

Après la traversée de Rouvray Sainte Croix, vers onze heures, nous apercevons de loin le passage à

niveau de Patay qui était fermé, avec des trains qui faisaient la manoeuvre sans arrêt, et cela pendant trois heures et demie au moins. Nous décidons de déjeûner sur le bord de la route, en face d’une ferme pour avoir de l’eau pour les chevaux, de sorte que nous n’avons pas perdu trop de temps. Mais l’encombrement de la route était formidable, pro­voqué par cet arrêt pendant lequel il était arrivé des quantités de voitures des fermes de la Beauce qui partaient, elles aussi.

La route de la Beauce étant interdite aux civils, nous n’avancions que par intermittence ; quelques convois isolés de trou­pes venant de Chartres nous coupaient la route pour gagner Orléans, de sorte que nous arrivons dans la soirée à Saint Sigismond pour camper à l’entrée du pays dans une cour de ferme dont les fermiers étaient déjà partis. Georgette a été traire une vache pour avoir du lait le lendemain matin. Il a été impossible de dormir malgré la fa­tigue, car les animaux n’avaient pas mangé de la journée, les vaches beuglaient de ne pas être traites. Il y avait aussi pas mal de porcs. Pour finir, vers une heure du matin, des réfugiés qui étaient à côté de nous, croyant avoir entendu un passage de trou­pes, se mirent à crier “Voilà les Allemands !” Mais c’étaient tou­jours les régiments français qui battaient en retraite, hélas! Comme nous n’avions pas fait une grosse étape l’après-midi, nous décidons de partir de très bonne heure puisque nous ne pouvions dormir.

Etape de 39 km.

Dimanche 16 – St Sigismond – la Loire – Sous les bombardements

C’est à 3 heures du matin (2 heures au soleil) que nous partons dans la nuit noire. Presque personne sur la route à cette heure matinale. La fraîcheur du matin incite les chevaux à marcher plus vite. Nous traversons Gemigny, Rozières, la Nationale Le Mans­ Orléans déserte. Le jour commence à naître. A la sortie de Huiseaux sur Mauves, nous avions déjà récupéré pas mal de voitures, et la colonne allait toujours grossissant… Soudain, surgissant par le tra­vers, une énorme vague de bombardiers allemands passant juste au ­dessus de nous provoqua une panique indescriptible…

A mesure que nous avancions, la soleil montait. La jour­née s’annonçait- excessivement chaude. En descendant dans la petite vallée de la Mauves, l’idée me vient de laver les pattes des chevaux pour les rafraîchir et surtout les délasser. Toute la colonne en fit autant. Un peu plus loin, à la Châlerie, nous prenons le petit dé­jeûner au cours d’un arrêt prolongé car la proximité de la grande route et l’entrée de Meung se faisaient déjà sentir. Nouvel arrêt à Nivelle où le premier charretier de Pescheux à Belleville Toquet et sa. famille, nous dépassent : ils vont dans la Creuse.

Difficile traversée de Meung encombré, longue attente, le pont ne suffisant pas à absorber tout ce flot. Nous n’arrivons que vers une heure de l’après-midi pour le traverser en

faisant courir les chevaux. Les soldats du génie étaient là pour le faire sauter. Je crois que tout le monde poussa un soupir de soulage­ment ; plus la hantise d’être bloqué sur les bords de la Loire avec l’armée allemande dans le dos et l’armée française sur l’autre rive !!!

Deux kilomètres après, nous trouvons une ferme à droite avec une grande pâture. C’est là que nous déjeunons et décidons de nous reposer. Le pré ressemblait à un véritable champ de foire tant les réfugiés et les véhicules de toutes sortes étaient nombreux. Tout le monde se croyait à l’abri de la guerre.

Malheureusement, pour certains, la mort les guettait. Deux kilomètres plus loin, après avoir traversé Bry et laissant les soldats français sur leurs positions de défense, nous nous engageons sur la route de Blois bordée de grands ormes qui la recouvraient entièrement. Soudain, plusieurs avions prenant la route en enfilade nous arrosèrent de balles et de bombes – cela pendant cinq kilomè­tres.

A chaque passage, on sautait du siège du chariot pour se cacher derrière les arbres en tournant autour comme des écureuils.

Nous décidons de nous écarter de cet enfer en gagnant une ferme isolée, pour passer la nuit bien que soleil soit encore haut à 6 heures du soir.

(Petite étape de 30,5 km avec beaucoup d’émotions).

Lundi 17 – Dry

Nous partons à 5 heures du matin dans l’espoir de rega­gner le temps perdu. C’est au bout de 3 km, vers le croisement de la route de Beaugency, que nous comprenons que nous avons été bien inspirés de nous arrêter la veille. Nous passons au travers d’un vé­ritable chaos de voitures de toutes sortes, retournées, déchiquetées, chevaux éventrés gisant sur la route, des sacs d’avoine dans tous les sens. Les morts avaient été emportés tout de suite. C’était l’œuvre des avions italiens* qui nous avaient bombardés la veille.

*L’avis d’Amigoville

Mitraillage par avions italiens pendant l’exode en France.
La présence de l’aviation fasciste italienne dans la région centre pendant le drame de l’exode en France est loin d’être prouvée.
Les archives de la « Regia Aeronautica et Armée de l’Air 1940 – 1943 » publié en 1975 par l’Ufficio storico dell’Aeronautica militaire. » ne mentionne que des actions dans le midi (Var, Alpes Maritimes…) de la France.
Des témoins ont décrit des cocardes rouge blanc vert sur les avions alors qu’à cette époque, la cocarde des avions était le « faisceaux de licteurs » etc…

A Saint Laurent des Eaux, nous trouvons la route barrée par les gendarmes et nous prenons à gauche, par une toute petite route où deux véhicules ne peuvent se croiser. Détail macabre, la voiture devant nous est un corbillard dont le cheval n’avançait pas. Nous l’avons suivi pendant 10 km.

Petit déjeûner à Crouy. A Toury nous entrons dans le parc de Chambord, bien contents d’être tranquilles à l’ombre. Nous rencontrons des gens de la coopérative de Limours.

Après avoir longé le château, nous sortons du parc pour gagner Bracieux. Pendant arrêt, un régiment de chars et de voi­tures blindées nous croisent, se dirigeant vers Chambord ils finissent par stopper à notre grande inquiétude. C’est alors que surgissent deux chasseurs bombardiers volant à basse altitude. Ils lâchent leurs bombes juste au-dessus de nous – sur les soldats dont beaucoup se jettent dans la rivière bordant la route. Heureusement, il n’y a pas eu de victimes. Nous nous sommes cachés derrière les tas de pier­res bordant le fossé. Les balles de mitrailleuses ricochaient sur les pierres. Nous en avons été quittes pour une bonne peur.

Sur la place de Bracieux, nous retrouvons les artilleurs qui avaient mis en batterie à Gometz. Là, je suis obligé de ferrer un cheval. Des réfugiés me supplièrent de ferrer leurs chevaux dont les sabots étaient en triste état (certains avaient les pieds envelop­pés dans des sacs) mais je ne pouvais pas passer l’après-midi à faire le maréchal.

Pendant ce temps, Georgette était allée chercher un peu de viande et du pain, car il fallait économiser les provisions. En boisson, nous étions largement pourvus, mais elle manquait de fraÎcheur.

Nous avons rencontré Pescheux et sa famille. Béné, le Maire de Limours, était également là. Sur la route, c’était réconfortant de retrouver des gens de connaissance dans cette foule disparate.
A l’entrée de Fontaine en Sologne, nous sommes bloqués par le régiment d’artillerie de Bracieux qui, au trot, allait mettre en batterie à Romorantin. Nous décidons de coucher dans le bas du pays, dans un pré.

J’étais complètement désorienté par les opérations militai­res en voyant les soldats prendre cette direction il n’y avait donc pas de défense sur la Loire ? Georgette croyait trouver du pain, mais il n’y avait plus rien tant il y avait de monde.

Heureusement, en chargeant les voitures à Gometz, les soldats de Dunkerque nous avaient laissé un sac de boules de pain que j’avais mis de côté. Je ne pensais pas m’en servir huit jours après, mais dans quel état de sécheresse! Il a fallu le mettre dans l’eau et le couper avec une serpe sur la flèche du chariot. Pour le lendemain, nous en avons mis dans l’herbe pour passer la nuit à la rosée.

Pour les chevaux, nous avions emporté des sacs d’avoine et des ballots de fourrage.

Pour la première fois, nous sommes obligés de couvrir les chevaux, car il tombe une petite pluie fine.

(Etape de 38,5 km).

Mardi 18 – Fontaine

Le soleil étant revenu, départ à 7 heures. La fatigue des chevaux nous oblige à prendre de plus longs repos. Nous prenons la route de Soings en Sologne, puis de Sassay, route déserte et cal­me parmi les étangs. Nous sommes seuls, tous les réfugiés sont par­tis vers Selles sur Cher. Nous, nous avons la gare de Montrichard comme point de ralliement avec mon Beau-Père.

A la sortie du pays, nous arrêtons pour déjeuner boire les chevaux. C’est la première fois que nous sommes si tranquilles ; j’en profite pour me raser. Depuis 8 jours, nous ne nous étions pas nettoyés. Il fallait voir dans quel état nous étions !

Départ ensuite pour Thenay. A la sortie du pays, nous trouvons une ferme mais, pour la première fois, nous avons été très mal reçus.

Le fermier ne voulait même pas que les chevaux boivent dans sa cour. Ils ont été boire dans le ruisseau qui servait d’égout.

(Très mauvais souvenirs. Etape de 32,8 km).

Mercredi 19 – Montrichard – pont sur le Cher

Nous partons vers 6 heures en direction de Bourré où nous retrouvons des personnes de Gometz-le-Châtel avec la voiture à cheval de chez Coussot. Le pays est plein de réfugiés ainsi que Montrichard où nous arrivons vers 11 heures.

Nous sommes inquiets pour traverser le pont du Cher. La ville avait été bombardée la veille. Nous traversons rapidement de peur que le pont saute : le génie est là.

Nous faisons halte ensuite au bord de la route. Nous avions remarqué en traversant la ville un marchand de bicyclettes bien achalandé. Quelle ne fut pas notre surprise (il y a toujours un côté comique dans le malheur) de voir passer à toute vitesse des Tirailleurs Sénégalais montés sur les vélos que nous avons vus à la devanture même les petits vélos d’enfants servaient à ces grands gaillards qui riaient de toutes leurs dents blanches en rou­lant vers Châteauroux.

La route de Loches étant interdite, une fois de plus nous quittons notre itinéraire et prenons la direction de Saint Georges. Nous décidons de déjeuner au hameau de Faverolles où se trouve un régiment de zouaves pour la défense du Cher. Soudain, alerte aux avions. Georgette court se cacher dans une cave creusée dans la roche. C’était chez les parents de Dupré, de Courtaboeuf. Moi j’étais resté avec les voitures, me cachant dessous.

Nous repartons vers 3 heures. A Saint Georges, nous pre­nons la route d’Epeigné. A la sortie du pays, je fais ferrer un che­val et en attendant, nous voyons passer Mme Petit et sa fille Nadine

de Dourdan qui logeaient là. Décidément nous ne nous trouvons pas seuls sur les routes.

Nous repartons. Des batteries de 75 sont braquées, prêtes à tirer. Cela ne nous rassure pas mais un peu plus loin des officiers nous disent d’arrêter dans une ferme car l’armistice va être signé.

Vers 7 heures du soir, nous arrivons à Epeigné-Ies-Bois avec l’intention d’y rester le lendemain. Là aussi, des soldats plein le pays : de l’artillerie lourde : des 155 avec des tas d’obus sur les trottoirs. Après renseignements, nous allons chez les Hainaut où nous avons été très bien reçus …

Mais la guerre n’était pas terminée. Vers 10 heures du soir, un officier vint nous prévenir qu’ils allaient tirer avec leurs 155, en batterie derrière le hangar, sur Chissay pour défendre le pont du Cher.

Naturellement, nous ne pouvons plus dormir – chaque coup nous faisait sursauter – et la peur que les Allemands ne répondent. Ce fut une demi-heure angoissante et interminable.. la première fois qu’on voyait une défense bien organisée notre départ.

(Etape de 21 km. Nous venions de parcourir 224 km sans noue en rendre compte).

Jeudi 20 – Epeigné-les-Bois

Séjour à Epeigné-les-Bois.

Nous nous installons dans notre campement. Dans l’après­ midi, les soldats font leurs préparatifs de départ – pour la retraite une fois de plus. La fin de la journée fut passée avec tristesse en voyant les derniers soldats partir en camion à la tombée de la nuit. Nous pensions à ceux qui allaient les remplacer certainement le len­demain matin.

Vendredi 21 – Les premiers allemands

A 5 heures du matin, arrivée des premiers allemands. Ce fut le commencement de l’occupation. Les femmes ne se montraient pas de la journée, tant elles avaient peur …

(En attendant que le retour soit possible, les réfugiés aident Leurs hôtes dans les travaux des champs et font leurs préparatifs de dé­part).

Mardi 25 – Le retour – Montrichard

C’est à six heures du matin que nous quittons ce petit pays si hospitalier avec l’espoir de revoir bientôt Gometz. Nous faisons nos adieu aux Hainault ; nous ­souhaitons les revoir dans de meilleurs moments.

Nous passons à Montrichard sur un pont de bois et nous prenons la route de Blois. Un cultivateur de Beauvais près de Roinville que je connaissais, ­nous dépasse en carriole avec des moutons dedans.

La plaine de Pontlevoy-Sambin fut traversée facilement. Mais la côte des Montils fut dure pour les chevaux. Nous atteignons Blois vers 6 heures du soir pour traverser la Loire. Les Allemands obligent à faire courir les chevaux pour dégager le pont qui a été réparé en bois et est à sens unique.

(C’est la cause d’un accident. Madame Lerebour tombe et se blesse au genou).

En sortant pont, impossible de suivre la grande rue, obstruée par l’éboulement des maisons bombardées. Nous prenons une petite rue qui serpentait, où les chevaux ont bien failli nous laisser tant la montée était raide.

Nous arrivons pour camper à Marolles vers 7 heures du soir après cette longue et rude étape qui avait bien fatigué les chevaux.

(Etape de 53 km).

Mercredi 26 – Oucques – Ecoman

(Mme Lerebour souffre du genou. Il faut voir un docteur à Oucques. Coucher à Ecoman, sur la place.
Etape de 29 km).

Jeudi 27 – Chanais – Chateaudun

Départ à 6 heures du matin. A Chanay nous sommes arrêtés ­devant un poste de la “Kommandantur” où flottait le drapeau à croix gammée. Ils nous demandèrent si nous n’avions pas d’armes dans les voitures. Je me suis bien gardé de leur dire que j’avais fusil et carabine

Traversée de Châteaudun dans les ruines, par la gare. A Marboué, nous nous arrêtons pour acheter de la viande chez le boucher. Nos provisions du départ commencent à s’épuiser. Nous avions emporté des conserves de viande en bocaux, du sucre, de la farine, des pâtes et dans une grande cage en osier, accrochée sous le chariot, des poules et des coqs. Nous étions quand même cinq grandes personnes à nourrir tous les jours.

Quel contraste avec l’aller, sur ces routes de Beauce où nous sommes presque seuls. Etape à Guibert, un peu avant Bonneval, dans une grange occupée hélas par des petites bêtes, tant il était passé de réfugiés. Quelques-unes ont émigré à Gometz.

(Etape de 38 km).

Vendredi 28 – Gometz, enfin !

En ne partant qu’à 8 heures, je pensais bien que cette journée à travers la Beauce ne serait pas trop fatigante pour les chevaux qui montraient des signes de maigreur.

A la sortie de Bonneval, les Durand de Gometz nous dépassent. A Moriers, nous voyons les premiers ­prisonniers français au nettoyage du pays sous la garde de sentinelles allemandes

A Plancheville, dans un bosquet à gauche de la route une quinzaine de tombes de soldats français. Les Pauvres, s’étaient probablement défendus là, au croisement de la route de Chartres…

A sept heures, nous faisons notre entrée dans la ferme.
Les chevaux, se reconnaissant, rentrèrent seuls en hennissant. Lors­qu’ils furent dételés, ils partirent seuls boire au bassin ils l’avaient bien mérité…

Nous étions les derniers à rentrer au pays, ayant les seuls à avoir parcouru tant de chemin avec des chevaux.

(Étape de 45 km).

Avant le dîner, nous avons fait le tour de la ferme.
Plus de volailles, plus de lapins, plus de porc. Les vaches avaient été détachées dans l’étable avant de partir. Elles allaient pâturer dans la plaine et rentraient le soir pour être traites la moitié avait perdu une partie de leur pis. Heureusement il n’en manquait pas ; même le taureau était là. Mais personne, que des réfugiés et des gens de Gometz-Ie-Châtel.

Il restait une douzaine de petits canards mais les gros avaient disparu (90).

Nous devons remercier Monsieur Moreau pour s’être occupé de la ferme, bénévolement. Il avait même embauché un gars pour dégarnir les betteraves.

Quel travail dans la plaine après 18 jours d’absence !
Surtout que les chevaux se ressentirent des efforts qu’ils venaient de fournir. Quelques jours après, ils contractèrent la fièvre typhoïde laissée dans l’écurie par les chevaux de passage…

Mais nous étions heureux de nous retrouver chez nous après cet interminable voyage de 428 km. Hélas ! les enfants et les grands-parents ne rentreront qu’un mois après nous faute d’avoir de l’essence à Périgueux

Gometz sera occupé par les Allemands pendant 6 semai­nes, à partir du 12 juillet. Une trentaine de chevaux seront logés dans la vieille grange et dans le magasin à betteraves. Tous les dimanches, il y aura la revue des 180 chevaux du pays dans la cour.

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