Le maréchal ferrant
En revenant de l’école, je me souviens…
Témoignage de Jean ANDRE
Enfant, lorsque je revenais de l’école, je m’attardais souvent chez un de mes camarades de classe qui habitait à la sortie du village. Son Père, le maréchal ferrant, travaillait seul dans de vieux bâtiments attenants à sa maison. Je me plaisais à venir y passer quelques moments, si bien que le maréchal ne remarquait plus ma présence.
Les chevaux étaient ses amis. Il connaissait tous ceux du village : les calmes qui durant le ferrage restaient dociles, et ceux plus réticents qui ne s’y soumettaient pas toujours de bonne grâce. Alignés, ces animaux paraissaient attendre leur tour face à ce mur blanchi sur lequel se dessinait le grand trou noir de la porte, qui donnait accès à la forge. C’est là, près de cette entrée, que l’on attachait le cheval qui allait être ferré.
Ceint d’un épais tablier de cuir, le maréchal cajolait de sa main la crinière de l’animal, sans doute pour le mettre en confiance. La lourde patte était maintenue repliée par une solide courroie de cuir qu’un aide portait en bandoulière.
Le sabot était avant tout débarrassé de son vieux fer, souvent usé au point de se couper en deux. La corne maintenant à nue était façonnée à l’aide d’outils tranchants de profils différents que le maréchal sortait de sa ferrière, grande sacoche qui ne le quittait pas durant le travail. Sous les coups de marteau, répétés, les éclats sautaient sur le pavé faisant un bruit sec.
De temps à autre, l’homme s’interrompait pour présenter le fer neuf à son nouvel emplacement : au début ça boitait toujours un peu mais de nouveau coups de tranchet au bon endroit terminait l’ajustement. Alors seulement il partait enfouir le fer parmi le charbon rougeoyant de la forge et actionnait tranquillement le soufflet. Bientôt, il brandissait au bout d’énormes pinces le métal surchauffé et le plaçait sur le sabot façonné.
Ah l’horrible fumée qui montait et son odeur âcre qui vous prenait à la gorge ! Mais peu importait, il fallait faire vite : les derniers coups de marteau incrustaient le fer qui déjà prenait une teinte sombre. A portée de la main, chauffés dans un brasier posé au sol, de longs clous à tête carrée disparaissaient bientôt un à un dans la corne dure, laissant échapper leur petit nuage de fumée.
Ses quatre sabots à neuf, le cheval laissait la place à un autre ; on le détachait et il semblait soulagé après cette immobilité forcée. On l’emmenait par la bride et le maréchal ferrant regardait s’éloigner la bête puissante dont les nouveaux fers résonnaient sur le pavé.